La CONQUÊTE SOCIALE de la TERRE

dimanche 15 décembre 2013

N°58- LA CONQUÊTE SOCIALE DE LA TERRE
Ed.O.Wilson - Flammarion NBS - 11/09/13 - 384 pages - Lecteur concerné.

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RÉSUMÉ : Nous partageons avec certains insectes l’eusocialité, capacité à vivre en groupe où s’instaure une division du travail, héritage d’une sélection à niveaux multiples impliquant le sacrifice de l’individu au profit du groupe. Les traits distinctifs de notre espèce seraient le résultats d’interactions génétiques et culturelles propres à notre cerveau et aux informations qu’il interprète de l’environnement.

MOTS CLÉ : eusocialité, sélection, flexibilité, environnement, information.

L’AUTEUR : Edward O.WILSON est biologiste, entomologiste spécialiste de la biodiversité et des extinctions massives. Lauréat de plus d’une centaine de distinctions scientifiques et littéraires (2 prix Pulitzer).

En associant l’analyse rationnelle et l’art, en conjuguant science et sciences humaines l’auteur propose ses réponses aux interrogations posées par Paul Gauguin réfugié sur son île. D’où venons-nous ? Que sommes-nous ? Où allons-nous ? Dans l’avant-propos l’auteur précise qu’une vision d’ensemble impose de reconnaître situations et processus historiques sources de notre espèce. Et d’accepter que nous sommes encore menés par des instincts ancestraux. L’histoire n’a pas de sens sans préhistoire, ni la préhistoire sans biologie ! La condition humaine et son évolution sociale trouvent moteur dans la sélection à niveaux multiples (cellule, organisme), par laquelle le comportement social héréditaire améliore la capacité de compétition des individus au sein de groupes, et des groupes dans leur ensemble. Identifier les mécanismes qui ont conduit à cette eusocialité bouscule diverses disciplines. (Génétique moléculaire, neurosciences, biologie de l’évolution, archéologie, écologie, psychologie sociale, histoire).

Fort de ses compétences sur les insectes eusociaux (l’incroyable instinct des fourmis/2012), l’auteur analyse (chap2) les différences physiologiques entre les voies évolutives de ces 2 groupes (insectes et humains) de conquérants sociaux sur Terre. Il s’agit de faire émerger la spécificité humaine à partir de propriétés biologiques (taille, mobilité) et de quelques bifurcations hasardeuses où génétique et environnement cohabitent. Bipédie, maîtrise du feu, nourriture, campement, division du travail, bricolent sur la plasticité si particulière du cerveau à s’adapter aux contraintes, à innover, à prévoir (empathie). L’interaction entre forces de sélection portant sur les traits des individus du groupe, et d’autres forces de sélection portant sur les traits du groupe, est la nouvelle théorie (sélection à niveaux multiples) défendue par l’auteur.

L’invention de l’eusocialité est à mettre à l’actif des insectes (chap3). Le concept de coévolution, de partenariat, de symbiose, de défense du nid, ne permet de justifier la rareté du phénomène eusocial dans les superorganismes. (chap4). Le passé de certaines espèces animales ouvre peut-être sur les forces d’évolution génétiques qui ont fait franchir à nos ancêtres le seuil de l’eusocialité. L’expression flexible d’un allèle a pu conduire sur l’émergence d’interactions entre membres des groupe (communication, division du travail, domination, coopération), mélange antagoniste d’altruisme et d’égoïsme évoluant par sélection de groupe. La plasticité phénotypique fait aussi débat sur le comportement eusocial sur la scène de théories alternatives (sélection parentale, valeur sélective inclusive). L’auteur donne sa préférence à la séquence : formation de groupes, force de cohésion, mutations avantageant le groupe et sélection de groupe.

Ayant analysé d’où nous venons, reste à apprendre ce que nous sommes (chap5). Enoncer peut-être ces règles épigénétiques (non installées génétiquement) qui ont évolué par l’interaction de l’évolution génétique et culturelle étalées sur de longues périodes temporelles. Identifier la base instinctive, non culturelle de la nature humaine, et identifier la coévolution gène/culture assurent de lever le voile sur l’évolution de variations culturelles, sur l’origine du langage, de la morale, de l’honneur, des religions et de l’art, véritables universaux de notre espèce. Notre univers sensoriel, terriblement réduit, compensé par les acquis de la science et de la technique, bricole toujours sur divers niveaux où la sélection individuelle (compétition) et la sélection de groupe (cohésion) se tirent la langue dans le cadre des sciences humaines. Pourquoi préférer métaphores ou mensonges (mythes, religions) pour apprivoiser la vérité qui rassure en comblant le piège biologique tendu dans notre cerveau de tribaliste. Le dilemme bien/mal, lui aussi fruit de la sélection à niveaux multiples où sélection individuelle (survie/reproduction) et sélection de groupe (altruisme) façonnent notre relation à l’environnement.

Finalement pour aller où ? (chap6). Et où ne faut-il pas aller ? Espèce biologique provisoirement bien adaptée dans un univers encore biologique, évolutif mais obéissant aux lois établies par la physique, l’idée que la sélection de groupe est le principal moteur reste toujours la grande question mise en avant dans cet ouvrage. Notre essence tribale, tiraillée par la sélection à niveaux multiples où l’individu et le groupe donnent leur bois aux sciences humaines, est aussi notre essence de verre .

Cette fragilité évoquée par Jean Claude Carrière est aussi force à ouvrir sur la raison et les arts. Ce paradis si souvent évoqué (religions) est sur Terre. Essayons de rester surpris et de nous surprendre. Restons curieux et faisons de notre mieux en remplaçant le pourquoi vivre, par le comment vivre. En renonçant de trouver un sens à notre vie : elle n’en a pas.

Jacques CAZENOVE - 24/09/13

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