PROMENADE DIALECTIQUE dans les SCIENCES

mardi 10 décembre 2013

N°56- PROMENADE DIALECTIQUE dans les SCIENCES.
E.Sanchez-Palencia - Ed Hermann - 22/09/12 - 473 pages - Lecteur concerné.

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RÉSUMÉ : La dialectique comme outil à résoudre des questions scientifiques contradictoires et paradoxales dans les domaines de la connaissance. Dialectique non conforme à une logique stricte, mais dans laquelle peuvent être analysés les phénomènes évolutifs au-delà de la science (sociologie, théorie de la connaissance).

MOTS CLÉ : Connaissance, contradiction, logique, causalité.

L’AUTEUR : Evariste SANCHEZ-PALENCIA (1941) est directeur de recherche émérite CNRS (Mécanique théorique & mathématiques appliquées), membre de l’Académie des Sciences et du Conseil d’Administration de l’Union Rationaliste.

Visite originale des sciences à la lumière de la dialectique, théorie de la connaissance assise sur le principe de la contradiction avec soucis de cohérence. Mêlant histoire des sciences, diffusion scientifique et épistémologie, l’auteur propose un état du chantier-science. Les analogies y sont sauts de points de vue sur un parcourt où la compréhension prend le pas sur la connaissance. Dossier organisé en 10 chapitres dont le premier campe sur quelques anecdotes paradigmatiques de l’aventure science. Découverte de Neptune, équations de Maxwell, stabilité des systèmes, organisation du vivant, falsification autour du « g » de Spearman, échec du National Cancer Acte, la réalité photographique ; autant de thèmes illustrant le caractère paradoxal de la recherche, en contraste avec l’image simpliste du progrès.

Le caractère approché de la connaissance scientifique (Chap2), son articulation avec une utopique exactitude tiennent à notre rôle d’acteur-spectateur-critique-auteur.. Le concept de simplexité (A.Berthoz) permet de faire émerger des propriétés simples et manipulables, d’un magma indiscriminé et inintelligible. Le caractère partiel et relativement simple des théories, le caractère approximatif et la multiplicité des approches de la connaissance scientifique font qu’il n’y aura jamais de science exacte, de science du Tout. Les modèles proposés se doivent d’être intelligibles, cohérents, efficaces et perfectibles par franchissement d’obstacles épistémologiques (Bachelard).Le concept d’umwelt (J.von Uexküll) concerne le cadre et l’environnement des théories.

La pratique de la recherche (Chap3), la production des connaissances bricolent sur les articles fondateurs porteurs d’idées nouvelles, leur montée en puissance et leur basculement du qualitatif au quantitatif. L’impossibilité de l’expertise (referees), ses procédures et dérives qui finalement marchent…assez mal pour départager ceux qui veulent faire quelque chose de ceux qui veulent devenir quelqu’un ! Problème de ciblage où le génie se joue des contraintes dans des situations cruciales ; le choix des principes à pauser s’avère essentiel (Einstein et sa relativité restreinte/1905 plutôt que Joukov/Staline quand la logique ne gouverne point les créations ?)

Le propre de l’évolution de la science est de basculer d’un finalisme primitif au causal objectif (Chap4). De l’anthropocentrisme à l’universel. Réduire l’optique à la minimisation du temps de parcours, et la mécanique à celle de l’intégrale d’action, reste une fausse idée sur la causalité des phénomènes sur le mouvement. De même pour les propriétés génériques de l’ADN, partagées par de nombreuses autres molécules, n’imposent nul finalisme, même s’il restera toujours quelque chose à comprendre et à apprécier.

Sciences cognitives et neurosciences, ouvrent sur le fonctionnement du cerveau (Chap5). Est défendue l’idée que la plupart de nos activités mentales relèvent de l’inconscient (hors perception de nos activités), de la question du sens et de la psychologie de la forme (Gestalt/un tout perçu avant ses composants). Plasticité du cerveau, systèmes neuronaux fortement non linéaires, siège d’intégrations multisensorielles, l’usine physico-chimiques se construit pendant les traversées. Produit génétique et épigénétique (environnement), il construit des images mentales, modèles simplifiés manipulables, usant des informations transmises et d’analogies. Les processus de découverte en science bricolent aussi sur des choix où le besoin d’harmonie, de cohérence, de beauté (?). Relâchant l’attention, ils ouvrent sur une combinatoire novatrice dépourvue d’ossature logique. Pas de voie royale pour la découverte !

Systèmes linéaires et non linéaires, sensibilités aux conditions initiales (SCI) et chaos déterministe (CD) offrent à l’auteur de confirmer ses talents de mathématiciens sur les concepts d’interaction, de causalité sur des systèmes dynamiques (Chap6). On enchaîne sur le statut de la logique formelle (Chap7) dans son articulation avec le réel (la pragmatique). On développe les principes de la dialectique interprétés comme règles générales saisissant ce qu’il y a de général ou de commun dans la dynamique de systèmes complexes afin de leur donner un fondement scientifique. Les concepts de contradiction, d’émergence et d’analogie y trouvent leur eau. La construction de modèles mentaux introduit des voies détournées de causalité ; boucles rétroactives apparentes de la flèche du temps… créant l’illusion d’une cause finale.

Que font les scientifiques face aux problèmes ? Comment gèrent-ils les nouveaux ? (Chap8). Exemples pris aux mathématiques où erreurs et principe du tiers exclu assurent de glisser d’un problème qui se pose à un problème qu’on se pose ! Le dilemme du prisonnier, en marge de la théorie des jeux, permet de revenir sur la fausseté bête et méchante du raisonnement standard (minimiser la peine). Résultat contradictoire, témoin des limites d’une logique admise à creuser dans l’évolution dialectique (thèse, antithèse, synthèse) de nouvelles potentialités de la ressource commune. Qu’irai-je déduire sur les lignes si elles ne sont d’un triangle ?

Avec le bricolage de l’évolution (F.Jacob/Chap9), les gènes partagent avec l’environnement, la gestion des systèmes vivants complexes. Sur l’analogie avec les chemins de fer, les choix se font au hasard des choses (hasard nécessaire ?). Et de considérer le concept d’adaptation non comme une explication mais comme un renvoi à une recherche plus objective des causalités, hors du champ holistique, tautologique et finaliste. Statut des objets mathématiques, relation entre exact & approché, modes opératoires & rôle des conventions forment la coda (Chap10) de cet impressionnant dossier, dont le dédicataire (le Petit Prince) saura en apprivoiser le point d’orgue de la partita. Secret de renard apprivoisé : c’est le temps que tu as perdu pour ta rose qui fait ta rose si importante… responsable de ce que tu as apprivoisé. Et de rappeler qu’il n’est point de vérité qui se démontre, pas plus que de logique des plis de la robe.

Jacques CAZENOVE - 19/08/13