L’ANALOGIE, CŒUR de la PENSÉE

vendredi 7 juin 2013

N°22- L’ANALOGIE, CŒUR de la PENSÉE.
D.Hofstadter/E.Sander - O.Jacob - 02/13 - 687 pages - Tout lecteur.

JPEG - 23.1 ko

RÉSUMÉ : Rendre à l’analogie et aux concepts leur rôle, dans une théorie des phénomènes cognitifs tel est le thème de l’ouvrage où le physicien aura quelque peine à s’y retrouver, si ce n’est sur ces analogies qui font avancer la science. Analogies que nous manipulons et qui nous manipulent dans l’océan des analogies invisibles, naïves. A chacun d’y trouver son horizon dans l’apprentissage d’une théorie de la connaissance.

MOTS CLÉ : analogie, catégorie, concept, mécanisme, psychologie.

Les AUTEURS : Douglas HOFSTADTER est professeur de sciences cognitives (Indiana University) et directeur du Center for Research on concepts and cognition. Auteur de Gödel, Escher, Bach (Prix Pulitzer 80). Emmanuel SANDER est professeur de psychologie (Université Paris-VIII) où il dirige l’équipe « compréhension, raisonnement et acquisition des connaissances ».

Pas de pensée sans analogies et concepts ; telle est la thèse soutenue dans cet étonnant dossier structuré en 8 chapitres où l’évocation des mots (1) et des expression (2) courbent l’espace de vastes océans des analogies invisibles (3), d’abstractions et périples catégoriels (4), d’analogies qui nous manipulent (5), que nous manipulons (6), d’analogies naïves (7) jusqu’à celles qui font trembler Terre (8) et surtout ciel… . Prologue (analogie cœur de la cognition) et épilogue (débat sur le cœur de la cognition), encadrent ce vaste travail sur les mécanismes cognitifs sur des enjeux éducatifs et didactiques. Quête d’une théorie de la connaissance où les neurosciences auraient aussi leurs mots à dire. Mais pas question d’évoquer ces processus cérébraux qui sous tendent les processus psychologiques décrits. Il s’agit de présenter un point de vue non conventionnel sur ce qu’est la pensée elle-même, et mettre en évidence le rôle des connaissances préalables dans l’activité de compréhensions et de raisonnement.

Les 4 premiers chapitres s’efforcent d’expliquer ce que sont les analogies A et les catégories K. Comment les frontières des K s’étendent par une succession d’A (1). Quelles relations les K et les mots entretiennent-ils (2) ? Sont étudiées ces K non lexicalisées reposant sur une perception du même, comprises comme A (3). Des changements de K sont faits dans nos interactions avec l’environnement et témoignent de la flexibilité cognitive à distinguer ou à regrouper (4). On en vient aux A formatrices de tous les aspects de nos interprétations en assurant et jouant sur la compatibilité avec la source d’analogie (5). De manipulatrices elles deviennent outils à manipuler avec tous les risques que cela comporte de tirer sur les ficelles (6).

Évidemment le physicien sera tenté d’ouvrir sur ces A qu’ils manipulent à usage scolaire, pédagogique (7) ou heuristique, propre à la découverte (8) comme aimait le signaler Einstein dès ses premiers articles de 1905, annus mirabilis, année merveilleuse (non miraculeuse) évitant toute analogie douteuse et naïve…N’est-il pas explicitement fée mention : sur un point de vue heuristique concernant la production et la transformation de la lumière ? Suivons H.Poincaré d’affirmer que ce qui guide, sur le chemin de la découverte, c’est d’abord l’analogie. Il y a ensuite, et chez Einstein pris comme modèle d’étude, ce besoin de généralisation des lois de la physique, (non de la nature !) avec cette exigence d’unité, ce besoin d’harmonie, d’esthétique lui aussi évoqué. On aurait pu aussi insister sur la volonté de s’appuyer sur un choix judicieux de principes, de traiter d’invariants, des symétries, de groupes pour oser la généralisation (principe de relativité) à l’ensemble de la physique. Les auteurs évoquent des mécanismes d’élargissement catégoriels horizontaux par analogie, des sauts catégoriels verticaux pour justifier leur analyse du style intellectuel du Grand Albert qui l’on conduit à ses remarquables découvertes. Inspiré par l’ouvrage de B.Hoffmann (A.Einstein, créateur et rebelle), ils proposent une interprétation d’une symphonie polyphonique sur le concept de masse-énergie encrées sur E=m.c² et sur le principe d’équivalence qui n’est pas sans laisser tout physicien insensible. Le rôle fondamental des expériences de pensée, des questions primordiales et universelles, du rôle joué par le formalisme mathématique et de la nécessité de cohérence, sont aussi évoqués. Leur a-t-on donné la perspective qu’ils méritent quand l’horizon est déjà teint d’analogies ou des catégories contraignantes. Où placer l’intuition, l’imagination, l’illumination parfois (par foi ?) dans ces divers procédés favorisant la découverte (heuristique) ? Si la déraisonnable efficacité des mathématiques (Wheeler) s’applique si bien à la construction des modèles physiques, si l’analogie y joue le rôle si bien présenté par les auteurs, il est délicat de paramétrer les diverses voies (voix), qui conduisent à la découverte de nouveaux horizons tant les bifurcations sont nombreuses dans le cerveau du chercheur souvent parasité d’inférences rassurantes (P.Boyer). Peut-on seulement faire de son mieux pour préparer le terrain de l’heureuse étincelle ? (P.Valéry) ? L’intuition, condition nécessaire pour la découverte… Mon intérêt pour la science s’est toujours limité pour l’essentiel à l’étude des principes… L’imagination est plus importante que la connaissance. (A.Einstein).

Le débat du type galiléen qui termine l’ouvrage revient sur les problèmes essentiels bricolés par les auteurs. Deux personnages, Anna voit tout en termes d’analogies (le mécanisme mental qui sous-tend l’ensemble de la pensée c’est l’élaboration d’analogies), et Katy voit tout en terme de catégories (les catégories capitalisent et structurent notre expérience, elles structurent notre pensée et la catégorisation en est la clé), tentent de convaincre le lecteur que création d’analogies et catégorisation sont au fond une seule et même chose…catégorisation routinière, inconsciente, automatique, objective, certaine ; analogie créative, consciente, contrôlée, subjective, incertaine.

Beaucoup de grains à moudre dans cet imposant dossier traitant essentiellement des phénomènes et processus psychologiques sur la cognition et dont les remerciements témoignent des activités des équipes du CRAC (Compréhension, Raisonnement et Acquisition des Connaissances) et du FARG (Fluid Analogies Research Group). Quant à nous physiciens c’est bien sur la matière-énergie (du cerveau) que nous œuvrons…

A moins de confier à l’analogie, au chœur de la pensée, la prise en charge de sa propre partition ! Cœur comme pompe dans le champ des connaissances ? Chœur comme chant en quête d’harmonie pompeuse ? Peut-on rester simple face au complexe ?

Jacques CAZENOVE - 21/04/13