GUERRES et PAIX chez les ATOMES

Ou l’histoire du monde racontée à travers la table périodique des éléments
dimanche 21 avril 2013

N°104 - GUERRES ET PAIX CHEZ LES ATOMES.
Ou l’histoire du monde racontée à travers la table périodique des éléments.
S.Kean - (traduc B.Sigaud) - JCLattès - 10/11 - 442 pages - Tout lecteur.

JPEG - 56.4 ko

RÉSUME : Étonnantes anecdotes historiques autour des découvreurs des divers éléments de la classification périodique, ainsi que leur impact dans les domaines social, culturel et politique. Véritable histoire de notre espèce calligraphiée d’une manière concise et élégante. La table comme jeu de l’homme, pour le meilleur et pour le pire.

MOTS CLÉ : anecdote, insolite, effrayant, amusant, rivalités.

L’AUTEUR : Sam KEAN : Licencié en sciences physiques. Journaliste au New York Times, Slate, New Scientist et actuellement à Science Magasine.

Initiative originale que celle de faire tourner l’histoire du monde et occuper le cercle de la table pour lui donner quatre coins*, fut-elle celle d’éléments chimiques ! Et l’écrire, pour s’évader du laboratoire, d’avoir saisi que chaque élément lance sa pierre, amusante, insolite ou effrayante, ouvrant entre des majuscules*.

La table comme carte de géographie (chap.1), parcourue d’est en ouest, où l’élémentarité des gaz nobles est toute inclinée sur le berceau de la philosophie occidentale. Evoquer Maria Goeppert-Mayer, mère de famille de San Diégo, qui décroche un Nobel (1963) d’avoir imaginé ces noyaux magiques aux formes platoniciennes, 2,8, 0, 28, 82…, 126, 140… ? La colonne IV, celle du carbone, échelle de vie, où quelques mutations généalogiques (chap.2), conduisent au monde de l’électronique (Si) et à sa brochette de Nobel, où fait figure de brebis galeuse (Ge). Les travaux sur la porcelaine permirent à Gadolin, penché sur les feldspaths d’Ytterby (1780), d’ouvrir une parenthèse sur les lanthanides (chap.3), véritable Galápagos de la table.

Avec le quatuor B²FH (G & M Burbidge, W.Fowler, F.Hoyle/1957), on touche à la nucléosynthèse stellaire (chap.4) : désormais notre sort tient à celui des étoiles. Celui de Terre devra s’inquiéter de l’Iridium brutalement déposé par quelque géocroiseurs (Alvarez/1980). Avec les armes chimiques (Br, 0s, Cl), homo technicus joue sur l’air de la folie (chap.5). Avec F.Haber, les gaz asphyxiant conduisent parfois sur de drôles d’horizon (Suicide Clara/Nobel 1918/Millions de gazés). Les métaux (W, Mo, Sc, Ta, Nb) firent d’étonnantes d’ogives à traverser certaines glaces. Avec L.Szilard et le projet Manhattan (chap.6), on bricole ces gadgets qui soufflèrent sur le Japon de d’inquiétants nuages (Pm, Pu, Co). A Berkeley, G.Seaborg & A.Ghiorso, usant de leur canon à particules alpha (qui sont bien des noyaux d’hélium He2⁺ !), portèrent la chasse aux éléments (transuraniens) à un niveau inédit de sophistication (Chap.7). A Doubna (URSS) le cas Flyorov n’est pas sans rappeler celui de Lyssenko. Mais les plus grands artistes de la classification furent E.Segrè & L.Pauling (chap.8), où l’on jugera du rôle du hasard (lettre de Pauling à Lewis) et des comportements de ces grands hommes (rivalités, humiliations, aveuglements) autour du 43 (Tc). La mécanique quantique en pilotant les liaisons chimiques (force, longueur, angle, orbitale) apportait enfin la compréhension à l’émergence de propriétés et de structures nouvelles conduisant aux hélices de R.Franklin, F.Crick & J.Watson (1953). L’occasion aussi d’évoquer poisons et médicaments (Chap.9) qui ouvrent sur ces règles de la biologie plus délicates que celles de la chimie. W.Knowles (Nobel 2011), prouve que la matière morte dans des mains compétentes revigorait la matière vivante et que la chiralité n’apparaît qu’avec la 3° dimension (Chap.10). Les mésaventures de O2 et de N2 purs (Columbia), de Ti, maître hypnotiseur de globules sanguines (prothèses), ou de ces paires inversées (Ar/K, Co/Ni, I/Te) impliquées dans des tromperies (Chap.11), donnèrent leurs ailes à ces grands aventuriers que sont les hommes (Gandhi).

La table est aussi l’incarnation de frustrations et d’échecs en matière économique, psychologique, artistique et politique (chap.12). S’y côtoient réfugiés, scandales (Curie/Langevin -Lyssenko), et vraies-fausses légendes autour de découvertes. Celle de l’hafnium (traceur chimique) par G.Hevesy et du Nobel qu’on lui refusa (24). Ou celle du couple Lise Meitner/Otto Hahn autour de la fission. La fausse monnaie fait aussi son trou sur la table (Chap.13) ; de Midas avec le zinc, au Tellure à Kalgoorlie, de Crésus à Newton. Ce sont aujourd’hui les électrons de l’europium qui aident à combattre l’escroquerie. Si la table a inspiré Goethe, M.Twain et d’autres, le lithium a bien fait de R.Lowell (Prix Pulitzer 74), génie délirant, un humain .convenable. (Chap.14). La table comme piste d’envol ou d’alunissage de l’émotionnel avec Crookes (67) plongeant dans le spiritisme. La fusion froide et ses prétendus pics (Pons & Fleischmann 89), fait son nid dans ce besoin de croire en une énergie propre et bon marché. (Chap.15).

Dernier volet sur les éléments, ceux d’aujourd’hui et de demain (Chap.16), autour de la lèpre de l’étain et de la chimie du 0°K. Les supraconducteurs voient leurs électrons se regrouper par paire (Cooper), et les atomes ne forment qu’un seul état quantique dans les condensats de Bose-Einstein (Cornell/Wieman/Nobel 01). La science des bulles et de leurs chambres (Chap.17) permit (Glaser/Wilson) d’ouvrir sur d’étranges horizons (transmutations, mousses, sonoluminescence). Si la recherche de vie extraterrestre concerne le magnésium qui implique la présence d’eau (Chap.18), les constantes fondamentales (structure fine), et leur éventuelle variation, pointent les confins de l’univers (Quasars=Noyaux Actifs de Galaxies !), mais aussi le néodyme terrestre (Oklo/1972). Les points quantiques (atomes virtuels holographiques) ancrés sur les îlots de stabilité de Maria Goeppert-Mayer (140, 160, 180), ouvrent leurs voiles sur leur contrôle individuel et les ordinateurs quantiques du futur (Chap.19).

Merveille anthropologique de artefact humain que cette table, reflet d’aspects étonnants, ingénieux et détestables des hommes et de leur interaction avec leur environnement matériel. La table, jeu de l’homme, pour le meilleur et pour le pire où s’y côtoient bombes et bulles, médicaments et poisons, sublime et vulgaire et même un peu de science ! Cela appelle un recul où les mots prennent le risque de faire sonner toute l’humanité en réserve dans la solitude*. (Anne de Staël).

J.Cazenove - 20/12/11