Petit traité de l’impsoture scientifique

mardi 22 mai 2012

N°23- PETIT TRAITÉ DE L’IMPOSTURE SCIENTIFIQUE.
A. KROH - Belin - Pour la Science - 02/09 - 222 pages - Tout lecteur

JPEG - 41 ko

RÉSUMÉ : Quatre dossiers, OVNI, agrobiologie prolétarienne, races, créationnisme, pour une réflexion sur le thème de l’imposture scientifique, où des préjugés, des croyances et des idéologies semblent répondre à une attente d’un certain public, que la raison et la science ne peuvent combler.

MOTS CLÉ : cultures, savoirs, préjugés, pouvoirs.

L’AUTEUR : Aleksandra Kroh était chercheuse à l’INSERM et écrivain.

Si « l’imposture scientifique est à la science ce que le Canada dry est à l’alcool » (G.Bachelard), alors le problème n’est pas de combattre les imposteurs mais de comprendre leur efficacité. D’autant que le manque de connaissances n’en est qu’un paramètre secondaire. L’esprit critique, la curiosité, n’étant pas toujours proportionnelle aux savoirs accumulés**. La vitesse de l’obscurité étant plus grande que celle de la lumière, « quand on décide de ne pas savoir, c’est pour toujours ». Et puis l’ignorance rassure, « il est facile de l’acquérir, plus facile encore de s’y maintenir »* !

L’imposteur scientifique présente son travail en abusant de ce qui fait la valeur du discours scientifique. Les canulars présentés par Alan Sokal (Transgresser les frontières : vers une herméneutique transformative de la gravitation quantique-1996), et celui de l’homme de Piltdowm où est impliqué Teilhard de Chardin, Dawson et Woodward (1912), montrent « qu’il est plus facile de devenir un bon imposteur que de développer une résistance à la désinformation ».

Avec les extraterrestres (chap1) associés aux apparitions d’OVNI, c’est surtout la thèse du complot qui passionne les foules : la science nous cachent quelque chose. La force des arguments proposés repose sur le sentiment d’insécurité et de préjugés, générateur d’audience et de pouvoir. Les preuves (Projet Bleu Book-1952-70) ? Elles sont falsifiées ou mal interprétées. Mais, nul besoin de preuves. En France, au sein du CNES on crée le GEPAN, puis le SEPRA (88-04). J.P.Petit cause de magnétohydrodynamique et J.Cl. Bourret passionne les foules. Aujourd’hui passée de mode, sauf pour quelques gourous (Heaven’s Gate-97), cette volonté de contact avec d’autres civilisations persiste dans les messages envoyés par les sondes ou dans la recherche (sérieuse) d’exoplanètes avec atmosphère et où la recherche de vie extraterrestre garde toute sa valeur.

Avec (chap2) l’affaire Lyssenko (1930-64) on mesure les dégâts d’une science à la botte d’une idéologie et à la possibilité offerte à d’incompétents arrivistes de convaincre les dirigeants (en général des dictateurs), qu’ils sont à même de résoudre de graves problèmes (agriculture, productivité, efficacité), pour répondre à une idéologie assoiffée de résultats. La génétique mettra longtemps à s’en remettre dans le bloc communiste. L’accès récent à certains documents permet à l’auteur d’en démonter la perversité des mécanismes.

Les préjugés raciaux (chap3) sont parmi les plus anciens et l’argumentation scientifique actuelle reposant sur la lecture du génome, est loin de satisfaire les préoccupations de notre société dite moderne. La récente affaire Watson (Nobel de médecine 62) en octobre 07, met en vitrine les problèmes entre science, éthique et politique. Et même si l’on confond souvent racisme et méfiance, avec la certitude que toute l’humanité possède un patrimoine héréditaire commun affichant une homogénéité de 99,9%, le racisme perdure dans notre mémoire collective.

Les rapports entre science et religions (chap4) concernent de nos jours la théorie de l’évolution darwinienne (chap4). Certains contestent avec agressivité et exigence, le partage galiléen des tâches entre le « comment va le ciel, et comment on va au ciel ». Le créationnisme et sa version sournoise de « l’Intelligent Design » (1991-Seattle), cherchent à fissurer à la fois l’enseignement, la laïcité et la démocratie, dans la mesure où d’importants moyens financiers (Discovery Institut) assurent la médiatisation de cette « ignorance savante revendiquée* », avec d’inquiétants effets secondaires. Malgré le combat mené par Stephen Jay Gould, les réactions de G.Bush ou du cardinal autrichien Ch.Schönborn (05) ne sont pas marginales, quand on observe ce qui se trame par exemple en Europe du Nord (Suède, Pologne), ou en Turquie. Et même si 70% des français sont acquis à la cause de l’évolution, existe le CESHE (Cercle Scientifique et Historique-80) pour qui l’évolution est « élucubration insensée ». Avec son fondateur Jean Staune, l’université Interdisciplinaire de Paris (UIP-95) se définit comme un forum de réflexion sur le sens de l’Univers, et soutient l’idée d’une cause première de l’apparition de la vie sur Terre, d’un plan conçu à l’avance. On se souvient aussi de l’émission sur ARTE (29/10/05) où ce concept de logique (moteur) interne dirigeant l’évolution était développé par A.Dambricourt-Malassé sans qu’un droit de réponse équivalent en démonte la logique. Et de ricaner avec Baudelaire qui déjà savait « l’épouvantable inutilité d’expliquer quoi que ce soit à qui que ce soit ».

Le lecteur soucieux de chercher les causes à de tels comportements collectifs, « attirés par la flamme », devra se pencher sur les neurosciences. Elles nous apportent des éléments de réponses sur le fonctionnement d’un cerveau où diverses inférences activent des structures cérébrales, sous-tendant des fonctions spécialisées ! Divers processus de sélection de l’information, en violant nos intuitions, ouvrent des domaines très riches et facilement transmissibles. (Pascal Boyer/Et l’homme créa les dieux). Semble aussi émerger l’idée (Michael Shermer-How we believe 99) que la croyance est une forme de laisser aller intellectuel. Plus besoin de savoir, quand il suffit de croire ! Restons donc vigilant avec nos vérités incertaines, assuré que « c’est grâce à la bêtise que l’intelligence, qui reste une des formes d’inquiétude, demeure en éveil* ».

Jacques Cazenove

*Jean Claude Carrière- Fragilités- 07
** Michel de Pracontal- L’imposture scientifique en dix leçons -86