Réflexions sur la science comtemporaine

vendredi 18 mai 2012

N°03- RÉFLEXIONS SUR LA SCIENCE CONTEMPORAINE
Pierre Darriulat - EDP Sciences - 02/07 -167 pages - tout lecteur.

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RÉSUMÉ : Essai sur les relations inspirées à « l’enfant de la plage », entre sciences et philosophies autour de quelques idées centrales telles la circularité ou la charte tacite de la science, et du verbiage de la métaphysique en quête d’absolus, dans l’espoir d’y jeter quelque lumière.

MOTS CLÉ : réductionnisme, déterminisme, abstraction, circularité.

L’AUTEUR : Pierre Darriulat est un spécialiste des particules élémentaires et de mécanique quantique. Enseigne l’astrophysique à Hanoi (rayons cosmiques).

Comment partager avec le public les avancées fulgurantes de la science telle qu’elle est ? Quel est son domaine d’application ? Comment elle se pratique et quels sont ses enjeux ? Telles sont quelques questions posées à tous ceux qui sont en attente de sa démarche, qui discourent sur ses méthodes ou qui en sollicitent une reconnaissance.

La science dont cause l’auteur est celle des phénomènes, donc objective. Il en dresse les concepts essentiels autour des théories relativiste et quantique instruisant la cosmologie. Constatant que « la science mal digérée cause souvent des désastres épistémologiques », la conquête par la science dure de nouveaux territoires, dans les sciences de la vie, les sciences cognitives et les sciences humaines, de part leur extrême complexité « les exposent à des amalgames injustifiés …chargés souvent de méprises et de mal entendus ». A l’exemple des neurosciences, nécessairement pluridisciplinaires, les vieux réflexes protectionnistes doivent s’effacer devant les exigences d’horizons nouveaux imposés par la diversité émergente observée aux diverses échelles. Et ce d’autant que les mécanismes propres au cerveau sont justement ceux avec lesquels nous appréhendons notre compréhension de l’univers ! N’est-ce pas là qu’il faut voir cette circularité de la science et les problèmes (paradoxes) liés à son autoréférence, avec ce va et vient entre pratique et théorie, déjà conditionné par une « certaine idée de ce qu’il y a observer ». Comment ne pas s’émerveiller devant l’efficacité des constructions abstraites des mathématiques, et l’harmonie inattendue des théories physiques toujours sur le chantier, sans se poser la question de leur interdépendance ? Et comment en vouloir à la métaphysique ou à la philosophie de ne pas y mettre un pied à les trier dans cette usante guerre de trois !

Dans la science réductionniste en marche (ch2), l’auteur fait une analyse de la connaissance scientifique bâtie sur la méfiance du bon sens sur le sens commun. Le droit à l’évasion conduit souvent au « tout se passe comme si » jusqu’à la délivrance de l’expérience cruciale validante, mais pour un temps seulement. Le conflit évoqué entre déterminisme scientifique et libre arbitre est en partie conditionné par cette charte tacite, sorte de code non écrit et qui permet de tracer le chemin du chercheur sans que des contraintes s’imposent à lui quant aux méthodes de découvertes ou aux choix d’idées neuves.

Liberté, objectivité et rigueur tiennent lieu à la fois de méthode dynamique et de critère de validité, sans pour autant en exclure quelques dysfonctionnements dont certains mystificateurs savent tirer profits, faisant entendre à la société ce qu’elle a envie d’entendre. Avec l’ignorance, source de méfiance, les pièges d’un réductionnisme primaire englués par la stupidité de discours scientistes usant de métaphores trompeuses, on comprendra la difficulté de ces artisans du savoir, à partager les connaissances acquises et la confiance qu’ils ont en la science. « Revendiquer pour cette même science le droit de s’asseoir à la table de la culture », clamer l’unité de cette culture et se réjouir de son caractère dynamique. Aucune prétention à éclairer le discours philosophique, éthique, idéologique ou religieux, ou à croquer le penchant apprenti sorcier, sinon à contribuer à aider la société à décider en connaissance de causes. L’important est l’image offerte par la science d’un univers historique où l’homme, en parfaite continuité avec l’animal et le végétal, n’occupe cette ligne d’univers que depuis peu. Que « rien ne nécessite qu’on postule autre chose que les lois de la physique pour décrire et expliquer l’ensemble des mécanismes ».

Il est dommage qu’à ce niveau de la discussion l’auteur n’évoque pas les propriétés émergentes des systèmes aux diverses échelles de la complexité chères à R.B.Laughlin (Nobel98) et qu’une confusion puisse naître à propos du scientisme défini ici comme l’attitude à « n’accepter aucune hypothèse métaphysique pour compléter l’image que la science nous donne du monde ». La boucle autoréférentielle dans laquelle la science se démène constitue une limite fondamentale à la connaissance scientifique qui avait déjà constaté d’elle-même que plus nous apprenons, plus nous réalisons qu’il nous reste à apprendre.

Il ne fait aucun doute enfin que cette même science « grignote peu à peu le territoire de la philosophie », d’autant plus que « rares sont les philosophes, et plus généralement les non-scientifiques, y compris nombre de mathématiciens, qui sont au fait de la science contemporaine » !

Nous laisserons au lecteur passionné par ses réflexions sur la science contemporaine, le soin de décider si les lois sont celles de la nature ou de la physique, si elles sont découvertes ou inventées, s’il ne s’agit que de problèmes ayant leurs sources dans les hypothèses forgées, et si les philosophes sont aptes à pouvoir y répondre, comme ils savent si bien le faire quand ils discourent sur … le sexe des anges ! Et d’enfoncer encore le clou en taxant l’épistémologue de laisser à l’homme de science le soin d’exécuter les basses besognes, se réservant celle plus noble de comprendre et d’améliorer les méthodes de la science.

Conclusion des plus pessimistes de deux trajectoires incapables de se nourrir mutuellement, et où quête de savoir et besoin d’absolus instaurent ce dialogue de sourds entre mythes confortables et théories dérangeantes. La science n’est pas à espérer, mais à vivre. A vivre au quotidien. Elle avance par « approfondissement et ratures ».

Beaucoup de vécu et de passion dans cet essai. Bibliographie très riche.

Jacques Cazenove