L’aventure de la chimie jusqu’à Lavoisier

samedi 28 avril 2012

N°65 - L’AVENTURE de la CHIMIE jusqu’à LAVOISIER
Claude Lécaille - Vuibert Adapt - 2004 - 306 pages - lecteur motivé.

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RÉSUMÉ : Histoire de l’identité de la chimie au travers de son utilisation, maîtrise et compréhension de la matière, du néolithique à Lavoisier en passant par la scolastique, l’hermétisme, l’alchimie et le phlogistique de Stahl.

MOTS CLÉ : éléments, alchimie, principes, phlogistique, balance.

LES AUTEURS : Claude Lécaille, maître de conférence honoraire à l’université Paris VII. Historien des sciences.

Ouvrage remarquablement accompagné de textes d’auteurs et qui met en lumière le jugement de Bernard Palissy, un des illustres protagonistes de l’aventure de notre chimie :

« Nulle nature ne peut produire son fruit sans extrême labeur, voire et douleur ». Si notre enseignement fait débuter la chimie moderne avec Lavoisier, il n’en reste pas moins que l‘étude de la matière et de ses transformations a son histoire qui reste finalement « la plus fondamentale de toutes les sciences ».

Tenter de comprendre le monde, répondre à des besoins, la chimie comme d’autres sciences est poly génétique, façonnée qu’elle a été par diverses influences et par une pratique très diversifiée, artisanale, thérapeutique, spirituelle.

Le feu et l’eau et les diverses techniques qui y sont associées joueront un grand rôle tant dans l’édification de systèmes communautaires que de systèmes de pensées, parties intégrantes de l’histoire de l’humanité. De la cuisson des argiles et de leurs colorants, à la fabrication du verre, aux techniques de l’émail et des peintures, à la préparation de savons, de cosmétiques, de médicaments « les arts du feu » engendrèrent aussi les forgerons au statut social très particulier, puisque détendeurs d’un savoir gardé secret, initiatique, où l’influence du ciel touchait à la vie des métaux !

Avec les grecs, soucieux de « laisser les dieux à la porte », apparaît au devant de la scène le concept d’élément(s), de substance primordiale. Les notions d’atomes et de vide sont au centre des débats purement philosophiques, où les nombres et la géométrie amorcent une mathématisation des problèmes. L’explication des formations de composés à partir d’atomes est purement mécanique et va dans le sens d’un principe d’unité de la matière. La dégénérescence de cette philosophie grecque vers le mysticisme, l’occultisme, la magie, conduit à un hermétisme alexandrin révélé (Hermès Trismégiste) dans « les tables d’émeraude », considérées comme le texte fondateur des alchimistes.

D’Alexandrie, l’alchimie pénètre le monde arabo-musulman qui intègre les pratiques orientales chinoises et indiennes, véritable ascèse centrée sur l’immortalité et la rédemption. Bien qu’expérimentale sa mystique l’éloigne de la réalité : les alchimistes ne cherchent pas à découvrir du nouveau, mais de redécouvrir un secret (pierre philosophale). Les apports de l’alchimie arabe sur le sel d’Ammon, le vitriol (l’or y vit), les distillations et l’Al ambic, conduisent à une première classification des substances dont sauront profiter les philosophes de l’occident médiéval (XII-XII°s) tels Albert le Grand, Roger Bacon, Raymond Lulle qui reprochent aux alchimistes « d’inventer la vérité quand ils ne la trouvent pas » ! Par contre les activités expérimentales, pratiques, permettent des avancées significatives tant sur l’appareillage, le four alchimique ou athanor dans lequel était placé l’œuf fermé hermétiquement (…), que sur la découverte de nouveaux éléments ou substances ainsi que des ouvertures sur des questions essentielles sur la combustion où Sulzbach observe une augmentation de poids du métal conséquence de l’union avec un « esprit ». A la Renaissance, l’humanisme ne parvient à libérer l’alchimie des pratiques hermétiques (kabbale) et magiques même si les techniques prédominent. On croise dans ce décors de gens comme B.Palissy, Agrippa qui développe l’iatrochimie (chimie pour soigner) ou Paracelse, créateur du mot chimy avec sa théorie des signatures et pour qui « seul le visible permet de penser l’invisible » dans ce monde où tout n’est que correspondances, connivences secrètes.

Avec le XVII° siècle et des expérimentateurs comme R.Boyle ou N.Lemery, le mécanisme corpusculaire de la matière fait place à une chimie enfin composante à part entière de la philosophie naturelle, mais encore sous couvert de paradigmes alchimistes dans laquelle le grand I.Newton reste pour certains le dernier génial magicien faisant reposer l’édifice sur la connaissance de « principes » tels le mercure, le soufre et le sel. Glauber restera le premier chimiste industriel, pionnier en matière de brevet, en quête d’un principe universel et Gassendi remet à l’honneur les atomes, dont la forme est responsable des propriétés.

Sautons allègrement à la première grande conception d’ensemble de la chimie en voie d’unification, avec le phlogistique de G.E.Stahl l’atomiste (1679) considéré comme « une terre n’existant qu’à l’état combiné de constituants mixtes » et qui, tout en contenant en germe des concepts modernes (oxydo-réduction) avait le terrible inconvénient d’alourdir la substance quand il s’en échappait…On arrive enfin au terme de notre histoire où la prééminence de la raison sur le dogme, le besoin d’autonomie de cette chimie inspirée par les apports des physiciens, conduisent, malgré l’éloge faite dans l’Encyclopédie sur la Chymie de Stahl (interprétée par Venel élève de Rouelle), à la chimie pondérale de Lavoisier (1785). La grande expérience de décomposition et de synthèse de l’eau enterre à tout jamais la théorie des éléments aristotéliciens et du phlogistique stahlien. La réforme de la nomenclature (1787) et le traité élémentaire de chimie (1789) offrent à cette nouvelle science la possibilité de « forger la clé qui ouvre la porte aux merveilles » (J.M.Lehn).

Délicat de devoir entrer dans chacun des détails évoqués dans cet ouvrage (découverte de l’oxygène par exemple) aux multiples références, aux textes originaux. Laissons le plaisir au lecteur motivé par l’histoire de la chimie de découvrir le moyen de mieux comprendre comment fonctionne notre science d’aujourd’hui où les vieilles idées ne manquent pas de refaire surface, à l’instar du phlogistique auquel certains n’hésitaient pas à attribuer un masse négative !

En annexes on trouvera aussi des repères chronologiques, des biographies, mais pas de glossaires ; ce qui n’enlève presque rien aux qualités de ce superbe travail que tout pédagogue se doit d’avoir pris co-naissance.

Jacques Cazenove