Soyez Savants, devenez prophètes

vendredi 27 avril 2012

N°41 : SOYEZ SAVANTS, DEVENEZ PROPHÈTES
R.Omnès, G.CharpakO.Jacob Sciences – Avril 2004 - 270 – Tout lecteur.

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RÉSUMÉ : Analyse de cette troisième grande mutation humaine interprétée comme conséquence de la découverte des lois de la nature, clé de modernité, en marge des philosophies et des religions et qui force la réflexion au-delà de l’humain.

MOTS CLÉ : mutations, lois, découvertes, éducation.

LES AUTEURS : Roland OMNES est physicien théoricien professeur à Paris XI. Georges CHARPAK, physicien au CERN, est prix Nobel de physique 1992.

Après l’homme I (l’homo sapiens) et l’homme II du néolithique, agriculteur et éleveur, c’est sur la mutation de l’homme III que les auteurs nous proposent leurs réflexions. Celui qui expérimente de ses mains parce qu’il sait que seul l’esprit ne peut tout connaître de sa propre puissance. Il découvre les lois dans le grand livre de la nature, leur caractère « extra-humain », c’est-à-dire qui dépasse nos cinq sens en révélant notre place dans l’échelle des espaces et des temps cosmologiques. La découverte (et non l’invention) de ces lois sur le contenant (gravitation) et le contenu (quantique) et leurs relations avec les mathématiques est donc source de modernité. Elles contiennent en potentialité toute la création, toute l’histoire du monde. Mais gare à ceux qui s’y méprennent et qui les simplifient à coup de hache, qui les réduisent à de simples mécanismes et qui se prennent aux pièges des mots et des idées toutes faites. « Car les choses ont une âme » lance-t-il au Nathanaël enthousiaste des nourritures terrestres, « tu es l’unique lieu, toi l’humain, où l’univers se pense ». Nostalgie de ce temps où philosophes et hommes de sciences expérimentales usaient leur métaphysique ou leur physique sur les mêmes sentiers d’une connaissance qui devient elle-même objet d’étude en s’intégrant dans un cadre plus large encore, celui du sens de la vie et celui de l’univers tout entier.

Il apparaît à Roland Omnès, grand spécialiste de quantique que ni les philosophes, ni les religions, qui prônent en dissonance, par la prière ou la méditation, un discours intérieur du soi au divin, n’apportent de réponses satisfaisantes sur l’existence de ces vérités découvertes « messagères de l’extra humain ». Par contre l’évocation de certains biologistes ou neurobiologiste conduit à intégrer cette connaissance à la conscience et aux sentiments ; sentiments de beauté, d’harmonie, de sacré comme éléments de structure de notre conscience ; conscience comprise comme sentiment de connaissance !
« La science tend vers le vrai, mais le sens lui échappe… de notre savoir devrait naître un art plus pur de vivre et d’aimer », nous conduisant vers un siècle non pas spirituel mais philosophique, c’est-à-dire « ami de la sagesse ».

Les cinquante dernières pages de l’ouvrage sont consacrées aux relations de la science et de la société, avec l’évocation de l’éducation comprise comme un art pour la paix sur la planète face à toute forme de terrorisme. Georges Charpak revient sur son action au niveau des jeunes et sur l’opération « la main à la pâte » où l’expérimentation devient motivation à penser par soi-même, source de vérité opposée à toute forme d’idéologie. Faire apprécier les fondements du discours scientifique dans le cadre du débat démocratique, le proposer aux pays en voie de développement afin de « contribuer à ouvrir des esprits lucides sur leur mutation ».

On parcourt l’ouvrage avec grand plaisir. Parfois surpris de voir intervenir ces démiurges aux accents bien de chez nous, ou gêné de savoir qu’il nous faut intervenir en prophètes d’un nouveau sacré dont la science se réclamerait ! N’est-il pas préférable d’observer l’efficacité de l’esprit fédérateur de la science dans de grands centres comme le C.E.R.N autour d’un projet à l’échelle de la planète Terre ? Dans la première partie l’auteur appuie son discours sur le fait que la découverte (et non l’invention) des lois de la nature est la base de cette mutation qui doit nous conduire à maturité. L’histoire nous éclaire sur la façon dont elles nous accompagnent dans notre façon d’appréhender le monde au fil de nouvelles observations ou nouvelles découvertes.

La loi de Newton conserve-t-elle son caractère universel après la théorie de la gravitation d’Einstein ? N’affirmait-il pas lui-même « Il n’y a pas un seul concept dont je sois convaincu qu’il demeurera, et je ne suis pas sûr d’avoir été sur la bonne piste ». (28/03/49). Un autre géant n’avouait-il pas lui aussi « quant à moi je me fais l’impression de n’avoir été qu’un enfant jouant sur la plage et s’amusant à y trouver de temps en temps un galet particulièrement lisse ou un coquillage plus joli que les autres ».

A-t-on qualité de prétendre que les lois quantiques sont fondamentales alors que les chants quantiques et gravitationnels n’ont pas trouvé leur tonalité commune ! N’oublions pas aussi que quelques 90% de cette matière-énergie dont nous sommes si fiers d’en comprendre quelques subtilités, sont de nature encore non identifiée ! Gardons encore en mémoire ces quelques petits détails (éther et corps noir) qui encombraient notre pas de porte à l’aube de ce XX° siècle…. Il apparaît plus raisonnable d’espérer que les découvertes de la sciences au travers de lois inventées de la physique et qui sont à l’honneur de l’esprit humain, lui permettront d’apprécier cette harmonie cosmique si chère à Einstein et à Spinoza (grand absent parmi les philosophes analysés) et avec soi-même, et qui débute avec le respect de notre fonction d’onde commune à tous, comme matière à penser, porteuse de formidables potentialités.

Jacques Cazenove